Le château des rentiers

Comment vieillir heureux ? C'est la question que pose Agnès Desarthe dans son dernier roman paru en août 2023 Le château des rentiers qui a été présenté mardi 5 décembre à l'animation littéraire de la bibliothèque.

            Née en 1966 à Paris, fille du pédiatre Aldo Naouri, agrégée d'Anglais, elle est une écrivaine française, autrice de livres pour la jeunesse et pour les adultes, traductrice de textes de Virginia Woolf et dont certains de ses livres ont été couronnés par des prix littéraires. Le roman tire son titre de l'adresse de ses grands parents maternels, Tsila et Boris, Juifs venus de Bessarabie dans les années 30, qui ont acheté un petit appartement dans le 13ème arrondissement de Paris rue du Château des rentiers. Une petite colonie d'exilés russes formée par leurs amis s'est installée dans le même immeuble et a crée ce qu'on peut appeler un phalanstère dans laquelle la fillette, puis la jeune fille qu'est devenue Agnès Desarthe, adorait aller. Le roman peut être lu comme une histoire de lieux : les lieux aimés, les lieux fondateurs, les lieux rêvés.

            Les lieux aimés ce sont donc ces appartements voisins les uns des autres que la narratrice, puisque Agnès Desarthe est à la fois l'autrice, la narratrice et le personnage central de ce roman, aime non pas parce qu'ils sont beaux ou originaux ou mystérieux, au contraire ce sont des immeubles modernes jaillis sans harmonie dans l'asphalte d'un quartier qui fut entièrement rasé,  mais parce qu'ils sont le lieu de vie des personnes qu'elle aime. La porte des logements est toujours entrouverte et les gens qui les habitent ne sont pas des aïeux tristes et ennuyeux mais des hommes et des femmes qui parlent en langues mêlées de yiddish, de russe et dont les disputes ou les harangues autour de la pâte à choux sont elles mêmes des mélodies. Les souvenirs olfactifs s'ajoutent aux accents venus d'ailleurs pour créer le plaisir ressenti par l'enfant.

            Ces lieux aimés parce qu'habités par des gens qu'elle aime vont devenir des lieux fondateurs. Ils vont être le creuset d'une valeur essentielle qui va l'habiter tout au long du roman : être ensemble avec les gens que l'on aime. La richesse, la célébrité, le pouvoir ne seront jamais mis en valeur ni même évoqués. Le bonheur vient de ceux avec qui l'on vit. Ces appartements de la rue du Château des rentiers dans lesquels la narratrice est allée si souvent seront le modèle rêvé, celui qu'elle veut imiter et créer pour elle-même.

            Puisque le bonheur c'est d'être ensemble avec les gens que l'on aime, cette affirmation va entraîner la 3ème caractéristique des lieux du roman : imaginer un endroit pour plus tard où l'on trouvera le bonheur ou du moins la sérénité, la gaîté. Elle a déjà fait ce rêve à 20 ans avec sa bande d'amis lorsqu'elle était étudiante ; vieillir ensemble était logique puisqu'ils faisaient tout ensemble : voyager, danser, aller aux concerts, partir en vacances. Face aux courts de tennis qui était le lieu habituel de leurs retrouvailles il y avait une maison de retraite qui s'appelait MAPI, vraisemblablement contraction de Mamie et Papi et plus tard c'est là qu’ensemble ils iraient. Ce rêve se continua longtemps à des âges différents et elle parle alors de ses grands parents, du phalanstère improvisé de la rue du Château des rentiers. Comme dans l'esprit de ses inventeurs au XIXème siècle, Charles Fourier et Jean Baptiste Godin, elle y voit le regroupement des éléments considérés comme nécessaires à la vie harmonieuse d'une communauté, un habitat participatif où elle pourrait trouver un moyen de combattre la solitude, de continuer à s'amuser. Elle dessine des plans montrés à un ami architecte qui se montre circonspect : la grande cour centrale à laquelle elle a pensé ne convient pas à des gens âgés pour lesquels la pluie et le vent sont des ennemis ! Qu'elle s'inspire plutôt des monastères, qu'elle imagine des galeries couvertes, des recoins pour se cacher ou se rencontrer.

            Des personnes et des lieux aimés qui appartement au passé, revisités par une narratrice de 56 ans qui se met en scène, donc au présent, laquelle cherche un plan pour rendre heureuses les années qui sont devant elle amènent rationnellement au futur, à la vieillesse. Elle devient donc un thème central par les réflexions qu'elle suggère, par la façon dont on l'envisage, dont on veut la modeler. Si je ne prends pas un peu d'avance je me retrouverai au seuil de la mort sans avoir rien prévu, sans avoir rien choisi. Mais ces réflexions ne sont pas tristes A regarder mes grands parents et leurs amis on ne craignait pas de devenir vieux. Car vieux ne signifiait pas bientôt mort. Vieux était synonyme de temps, du temps dont on dispose pour faire exactement ce que l'on a envie de faire. Elle ne nie pas la douleur associée à la vieillesse, aux changements qu''elle impose aux corps, à un physique dans lequel on ne reconnaît pas la jeune fille, la jeune femme que l'on a été mais elle finit par ces phrases : Qu'est-ce que ça peut faire ? A l'intérieur on est toujours la même, le même. A une amie qui lui parle de la tristesse de vieillir, du physique qui se dégrade elle réplique par une pirouette : Au moins dans mon phalanstère on sera tous vieux et n'y verra pas très bien ; on instaurera des journées sans lunettes ; nous nous regarderons avec plaisir et avec amour parce que nous serons flous.

            Le roman est facile à lire, son écriture est agréable et la narration faite de chapitres courts nous entraîne du passé au présent au futur comme si nous enjambions les étapes de la vie. Mais son charme vient surtout de l'humour qui parcourt ses pages, de l’absence totale de vanité dans le récit que Agnès Desarthe fait de ses maladresses comme une timidité parfois qui nous émeut. C'est un livre résolument optimiste dont une des phrases peut être lue comme une injonction : pour ce qui est de tes amis et toi vous ne serez peut-être pas heureux d'être vieux mais vous pouvez vous efforcer d'être joyeux.

            Alors quel que soit notre âge soyons le, nous aussi, dans ce temps de l'Avent.

Légende de l'image : Vincent Van Gogh - Vue depuis l'appartement de Théo - 1887 - huile sur toile - 45,9 x 38,1 cm - Amsterdam, Van Gogh Museum