Animation bibliothèque du mardi 18 janvier

La rentrée de janvier c'est aussi, à la bibliothèque, une rentrée littéraire ou du moins une rentrée où nous parlons des livres que l'on a aimés ou qui nous ont agacés, de ceux que l'on nous a offerts à Noël ou de ceux que l'on ne nous a pas offerts mais dont on rêvait pourtant...

            Nous étions une quinzaine de lectrices autour de la table ovale à parler de nos coups de cœur ou de griffes. Jeanine a ouvert les échanges en parlant du dernier roman de Catherine Cusset qui l'a exaspérée. Il s'intitule La définition du bonheur et le titre déjà fait hausser les sourcils ; comment peut-on définir le bonheur qui par son essence même est une notion personnelle, éphémère, fluide que les mots ont du mal à enserrer dans une réalité ? Les pages ne sont qu'une accumulation de clichés, un fourre-tout de lieux communs que le style, parfois ampoulé, noie sous des métaphores alambiquées. Catherine Cusset pardonnez-nous de ne pas avoir aimé votre livre ; est-ce votre trop long séjour aux États Unis qui vous coupe de votre lectorat français ?

            Marie Odile a ramené le sourire sur les visages (même masqués ceux-ci laissent voir les éclats de sourire dans les yeux) en parlant de A la ligne écrit par Joseph Ponthus. La ligne est celle du travail à la chaîne dans les abattoirs bretons ou les usines de poissons où travaille Joseph ouvrier intérimaire ; les bruits, les rêves confisqués, la répétition usante des mêmes gestes la souffrance des corps ne sont pas tus mais ils sont magnifiés par une écriture drôle, poétique dont la graphie elle-même est celle de ce qu'on appelle des vers libres en poésie, et par l'amour qui existe dans le jeune couple qui a décidé de venir vivre à Lorient. Cela pourrait être un reportage banal sur le monde de l'usine mais, comme le dessin de la couverture, le livre prend le lecteur au dépourvu et le ravit par les constantes intrusions de mots ou de phrases venus de romans ou de sonnets que tout écolier a rencontré dans ses études ; ce télescopage voulu par l'auteur est un régal.

             Anne Marie nous a emmenés dans Le monde des Abberley de Robert Goddard. Dès les premières pages Béatrix Abberley est assassinée et semble connaître son meurtrier. Le roman est donc policier mais il est aussi historique avec en toile de fond la guerre civile espagnole ; il sera surtout la peinture d'une famille anglaise vivant dans un paysage rural avec cottages et manoirs dont l'ambiance cosy cache des non-dits. Parallèlement à l'enquête de police une enquête familiale sera menée par sa nièce Charlotte qui la conduira à son oncle Tristan Abberley et à des secrets de famille. Ces deux intrigues mêlées vont tenir le lecteur en haleine pendant les 800 pages de ce long roman. Mais il n'est jamais ennuyeux et parce qu'il n'est pas traversé par les thèmes dramatiques si à la mode en notre début de 21ème siècle il apparaît très reposant.

            Nous restons dans les familles anglaises avec la sage des Cazalet écrite par Elizabeth Jane Howard et présentée par Marité. Durant plus d'une dizaine d'années, de juillet 1937 à 1950,  nous vivons avec cette famille de grand bourgeois à travers 4 tomes : Été anglais, A rude épreuve, Confusion  et Casting Off. Le premier tome nous entraîne dans le Sussex dans la vaste propriété de vacances des Cazalet où arrivent de Londres les trois fils Hugh, Edward et Rupert avec leurs femmes, leurs enfants et les domestiques et gouvernantes. Les pique nique sur la plage, les soirées les intrigues familiales, l'insouciance des enfants donnent une atmosphère légère ; mais l'ombre de la guerre plane dans les conversations des adultes. En 1939 l'entrée en guerre de l'Angleterre met fin à cette insouciance et, parallèlement, les affres de l'adolescence tourmentent certains des cousins. Dans le tome 3, en 1942, la guerre suit son cours : le deuil, les restrictions, l'attente des nouvelles venues du front rythment des pages plus sombres où cependant naissent des amours, se concluent des mariages tandis que Rachel, restée célibataire s'occupe de ses parents vieillissants. Le tome 4 s'ouvre sur la paix signée, le retour de Rupert absent depuis 5 ans, et bien sûr des secrets de famille. Est-ce un peu le pendant, dans la grande bourgeoisie, de cette série Downton Abbey où aristocrates et domestiques ont enchanté nos soirées de télévision ?

            A cette saga qui se raconte dans d'épais tomes Françoise oppose le petit livre si beau, si court La plus précieuse des marchandises de Jean Claude Grumberg. Il pourrait être raconté comme un conte : il était une fois dans une forêt un pauvre bûcheron et une pauvre bûcheronne qui devaient affronter la pauvreté, le grand froid en hiver et une chaleur accablante en été. Nous sommes en Europe de l'Est dans les années 1940. Une ligne de chemin de fer traverse le bois et d'un train, un jour, tombe emmaillotée dans un grand châle brodé une toute petite fille. La suite est une histoire d'accueil, d'amour face à la violence et la destruction programmée qui sont le sombre décor de ce récit écrit avec tant de beauté, tant de poésie qu'il est impossible d'y rester insensible.   

Delphine de Vigan a séduit Chantal qui nous parle du livre Les gratitudes. Trois personnages y jouent un rôle clé Michka une adorable vieille dame cultivée, intelligente, ancienne correctrice dans un grand quotidien parisien, qui sent les mots lui échapper et la réalité se dérober parfois. Ne pouvant continuer à vivre seule elle rentre dans une maison de retraite ..mais avec sa bouteille de whisky ! A ses côtés Marie sa voisine qu'elle a aimée enfant et parfois hébergée lorsque la mère de la petite fille n'était pas en état de le faire. Jérôme, orthophoniste dans l'établissement va aider Michka à récupérer les mots qui s'enfuient car sans le langage qu reste-t-il ? A eux deux ils vont essayer de dresser une barrière d'amitié pour protéger la vieille dame de la  tristesse devant cette diminution de ses facultés et créer le rire, la fantaisie dans des mots inventés. La gratitude c'est dire merci aux personnes qui nous ont aidés à vivre, à survivre parfois. Émotion, gravité et zeste d'humour créent un plaisir à lire ce livre.

            Maguy nous parle de Monument national de Julia Deck livre qu'elle a trouvé jubilatoire qui mêle une observation caustique de la société, une construction en roman policier,où se côtoient des gilets jaunes, une intendante, un coach, une cuisinière, un jardinier, un chauffeur ces derniers au service du Père, acteur vieillissant mais gloire nationale, qui règne sur le Château. Il a épousé une jeune beauté qui fut autrefois Miss Provence -Côte d'azur et cette famille recomposée connaîtra son heure de gloire en recevant le Président et son épouse Brigitte. L'autrice nous présente un portrait grinçant et caricatural avec d'un côté les pauvres, de l'autre les riches dont dans la vraie vie la rencontre serait improbable mais que sa fantaisie rend possible.

            Macau a choisi Seule en sa demeure. Héritière dans ce roman des thèmes et de l'écriture classique Cécile Coulon nous plonge dans une intrigue et une atmosphère qui conjuguent Balzac, Villiers de l'Isle Adam, et plus récemment Rebecca de Daphné du Mourier. Une jeune fille Aimée Deville se marie avec un riche propriétaire terrien du Jura Candre Marchère qui l'emmène le soir de leurs noces dans sa demeure bourgeoise qu'entourent de grands arbres à la fois protecteurs et effrayants selon la lumière qui tombe sur eux. Il a été brièvement mariée à une jeune femme qui est morte de tuberculose dans un sanatorium suisse et dont la présence semble hanter la maison. Hanria, la servante qui a élevé le jeune homme à la mort de sa mère alors qu'il avait 5 ans, entoure la nouvelle épouse de son affection respectueuse mais elle aussi semble double ainsi que son fils Angelin que l'on cache, qui est muet mais qui fascine Aimée par sa beauté. Tout est en place pour que le lecteur ait envie de dévorer les pages et que se révèle à lui le mystère que l'on sent planer dans cette maison, ses habitants et ce paysage de brume qui l'enserre de façon menaçante.

            Des mots, les images et les personnages qu'ils font naître ont une fois de plus séduit les lectrices assises autour de la table ovale et leur charme rendait difficile le retour à la vie réelle comme si nous n'avions pas envie de quitter la bibliothèque et ces histoires déroulées vécues par procuration !