Café littéraire à la bibliothèque

Masquées mais heureuses les lectrices, habituées ou nouvelles, se sont retrouvées autour de la table ovale ce mardi 12 octobre. L'ambiance était joyeuse, témoin de la vie qui reprend et de la curiosité qui nous anime toutes pour découvrir des titres, des personnages, des histoires qui vont nous faire voyager et rêver.

         C'est Faty qui nous a parlé d'abord des effets délétères du Covid sur sa légendaire jovialité, du rôle de recluse qu'elle s'était infligé dont elle a décidé de sortir, en allant prudemment, à pas de loup, à une heure de petite affluence au Salon du Livre à Vannes ! Mais la récompense en fut la chaleureuse dédicace que Philippe Besson lui écrivit sur la page de garde de son dernier roman Le dernier enfant dont elle nous a parlé. Ce dernier enfant s'appelle Théo et il a atteint l'âge de quitter le nid familial, ce qui le réjouit sûrement, mais désespère sa maman dont les premières pages racontent le dernier petit déjeuner pris à la table familiale, l'amour et la précision avec lesquels elle va le préparer, la minutie de ces gestes quotidiens et l'effort si grand  pour retenir ses larmes. C'est un roman sobre, en nuance qui montre le vertige d'une mère devant le vide que va laisser l'absence de cet enfant. Françoise nous entraîne dans une autre atmosphère, un peu inquiétante comme le sont souvent les romans de Cécile Coulon. Une bête au paradis annonce déjà dans l'opposition des mots de son titre le bonheur et la cruauté. Nous sommes dans une ferme que tient une lignée de femmes : la grand-mère, Émilienne, dure, pour qui le travail de la terre est une évidence et laisse peu de temps aux effusions et Blanche sa petite fille qui va aimer passionnément cette ferme. Il y a aussi Gabriel le petit frère dont la mort brutale de leurs parents dans un accident de voiture va exacerber la sensibilité, Alexandre qui aime Blanche mais que ses ambitions de réussite professionnelle conduisent vers les lumières de la ville, la scène du cochon que l'on tue dans la bruyante cour de la ferme et la découverte de l'amour par Blanche et Alexandre dans l'ambiance feutrée d'une chambre à l'étage. L'histoire où se mêlent amour et vengeance est racontée par Blanche devenue une vielle dame.

       Marie-Odile  a choisi Géantes de Murielle Magellan où deux livres se côtoient, s'interposent entre les chapitres : le journal intime de la narratrice et le roman qu'elle écrit. Le personnage principal est Laura qui vit une petite vie tranquille travaillant dans l'entreprise de peinture de son mari ; mais elle a une passion la littérature japonaise qu'elle connaît parfaitement. Pour cette raison elle est appelée en urgence à la médiathèque de sa ville pour interviewer un de ses écrivains favoris venu du pays du soleil levant. La radio, la presse, le public sont enthousiasmés par sa présence et sa culture et elle devient quelqu'un d'important. Au fur et à mesure qu'elle sort de l'anonymat elle grandit, grandit pour devenir la géante du titre. L'humour, la réflexion sur la place des femmes, l'hommage à la lecture font de ce livre une fable charmante et amusante où se côtoient la fantaisie et les réflexions du journal intime de l'auteur. Maguy nous parle d'un petit coup de griffe venu de la lecture du dernier ouvrage de Marc Dugain qu'elle aime tant pourtant mais qu'elle a trouvé décevant ici. La volonté parle du père de l'auteur, alors en soins palliatifs, de sa trajectoire qui l'a conduit jusqu'à un poste de brillant ingénieur, de son grand père gueule cassée de la 1ère guerre mondiale qui lui inspirera La chambre des officiers. Elle réserve son coup de cœur pour Feu de Maria Pourchet. La narratrice bien que mariée, mère de deux filles, enseignante d'université décide, presque froidement comme une expérience à tenter, de prendre un amant. Mais elle sera une Madame Bovary inversée qui mène le jeu, ne voit pas l'amour romanesque et livresque mais sensuel, sexuel. Dans le triangle amoureux : la mari, la femme, l'amant chacun est remarquable par son égoïsme ; tandis que la passion les effraie et les consume se dessine, peinte par l'autrice qui est sociologue,  une époque où les hommes ne savent plus quelle est leur place, leur représentation. Ils sont en retrait construits/déconstruits …

         Jeanine nous emmène à Concarneau, ou peut-être dans une autre ville de Bretagne, qui sert de toile de fond au roman de Tanguy Viel La fille qu'on appelle, traduction française du mot call-girl comme le dira Laura aux policiers auprès desquels elle vient déposer une plainte. Laura, belle, qui plaît aux hommes, son père Max Le Corre un boxeur qui fut célèbre, Quentin Le Bars le maire de la ville, Frank Bellec propriétaire du Casino ayant trempé avec l'accord du maire dans certaines affaires louches sont les protagonistes de cette histoire que l'on reçoit dans l'intensité que lui confère ce style si particulier aux livres de Tanguy Viel. Le mécanisme de l'emprise, du consentement de la jeune fille ou de celui qu'on lui suppose pour que l'on ne puisse pas parler d'agression sexuelle, y sont analysés et démontés avec calme, froideur. Le titre paraît banal, le récit subit constamment des allers retours et des coupures sporadiques ; nous comprenons alors que le lecteur se trompe, que rien n'est banal et que le cynisme des puissants sera le grand vainqueur de ce court roman. Nous retrouvons Murielle Magellan talentueuse autrice de théâtre et de scénarios dont celui des Petits meurtres d'Agatha Christie avec le roman que nous présente Chantal : Changer le sens des rivières. Marie, née dans une famille où l'affection semble absente, vit de petits boulots. Elle est serveuse dans un bar du Havre et y rencontre un jour Alexandre jeune étudiant cultivé et beau parleur qui la fascine. Ils vont être amoureux et la jeune fille pensera que l'amour, peut-être, peut la hisser au-dessus de cette condition sociale dont elle souffre. Mais l'amour est fugace et Alexandre veut la quitter. La suite du roman va la réunir avec un juge qui lui demande de lui servir de chauffeur. Il est taciturne, sérieux ; elle est joyeuse et vive. Ils appartiennent à deux mondes qui normalement ne se côtoient pas mais on peut se rebeller contre son destin et changer le cours des choses, le sens des rivières. Rien n'est écrit d'avance sauf ce joli roman.

         Macau nous emmène loin d'Europe en Caroline du Nord au bord des marais où se situe l'action de La où chantent les écrevisses. L'autrice du livre Délia Owens est biologiste et zoologiste et a vécu 27 ans en Afrique y étudiant les différentes espèces de la faune. Passionnée par ses recherches elle se bat pour la sauvegarde des espèces menacées aux États Unis où elle est revenue vivre au plus près des marais de Caroline du Nord comme son héroïne Kya. Celle-ci a six ans lorsque sa mère part, une petite valise bleue a la main et la laisse seule avec un père violent dans une baraque inconfortable. Ce roman est donc celui de l'abandon ; il est aussi un roman policier puisqu'à la 1ère page le lecteur découvre un corps sans vie à la surface d'un étang. Il est un roman d'amour grâce à la présence attentive et aimante de Tate un adolescent un peu plus âgée que Kya, mais il est surtout un sublimissime hymne à la nature. Fait d'allers et retours entre l'année 1969 et l'année 1952 évoluant avec l'âge de Kya au cours de ces années il est surtout à travers une écriture poétique la description du monde animal et végétal qui protège la fillette, la nourrit, la sauve de la brutalité des hommes et lui offre un cocon de bonheur. Les 8 millions de lecteurs qui l'ont aimé, la première place des ventes de librairie pendant 12 mois consécutifs traduisent l'engouement du public pour ce beau récit.

         Des mots écrits, des mots lus, des mots écoutés firent de cette rentrée littéraire des moments de plaisir. Les tasses de café ou de tisane au citron et au gingembre, les petits carrés de gâteaux aux pommes prolongèrent ce plaisir en lui donnant une coloration gustative !