Journal d'un confinement (15)

En 1893, à Chalon-sur-Saône, naquit André Isaac. Blessé à deux reprises pendant la première guerre mondiale, il dut se contenter de petits boulots, présenta des poèmes au cabaret ''La Vache enragée'' et y fut engagé sous le pseudonyme de Pierre Dac. Le 13 mai 1938, parut le premier numéro d'un hebdomadaire de quatre pages, Organe officiel des loufoques, baptisé ''L'Os à moelle''. L'éditorial tentait un essai d'explication du titre : ''Au temps des Gaulois, le fameux gui qu'adoraient ces derniers n'était autre que l'os à moelle qui, à l'époque, n'était pas encore passé du règne végétal au règne minéral : les campagnes celtes verdissaient à l'ombre des ossamoelliers, aux pieds desquels les comiques en vogue chantaient leurs plus désopilants refrains dont l'un des plus célèbres: ''Le Druide a perdu son dolmen'' est parvenu jusqu'à nous.'' Le ton était donné.

     Le journal eut un succès colossal auprès de la jeunesse qui cherchait des occasions de rire en cette période de montée des tensions internationales. Le premier numéro fut tiré à 400 000 exemplaires. L'une de ses petites annonces est restée célèbre : ''On demande cheval sérieux connaissant bien Paris pour faire livraisons seul.''

     Il y eut 109 numéros, le dernier étant paru, sans que son directeur, en fuite, soit au courant, le 7 juin 1940. Les rubriques, plus déjantées les unes que les autres, sont devenues témoignages, par l'absurde, de ce que furent les premiers mois de la seconde guerre mondiale. 

     1er septembre 1939, dans la rubrique ''Redis-le Moelleux'' : ''La plaisanterie recommence. On m'a rappelé au camp de Mourmelon. Par voie d'affiche, figurez-vous. Au lieu de me téléphoner ou de m'envoyer un pneu. Un monsieur portant une belle casquette à galon doré m'attendait à la gare. ''Me voilà'', ai-je dit. ''Vous m'avez rappelé ? C'est à quel sujet ? Répondez-moi vite, je suis pressé.''  Un peu plus loin : ''Rien de bien sensationnel à lire dans les quotidiens en ce moment. Ah si, on a trouvé un chien errant dans le square Montholon... Ah, c'est terrible, voyez-vous, pour nous autres journalistes, quand l'actualité est creuse à ce point.'' Puis le 9 septembre, dans la même rubrique, on pouvait lire : ''Tout à fait entre nous, je vais vous annoncer une nouvelle que vous serez bien aimables de ne répéter à personne : nous avons actuellement, en France, une mobilisation générale ! Mais gardez ça pour vous, des fois que nos voisins d'en face s'en apercevraient !''

     Le 9 septembre aussi, un encart publicitaire figurait en dernière page : ''Avis important : Recherchons, mort ou vif, le dénommé Adolf, taille 1m47, cheveux bruns avec une mèche sur le front. Signe particulier : tend toujours la main, comme pour voir s'il pleut. Signe spécial, le seul le rapprochant un peu d'un être humain : moustaches à la Charlot. Enorme récompense.'' 

     Vendredi 29 septembre, prémonitoire : ''Les armées d'Adolf Hitler ont envahi la Pologne, celles de Staline ont également franchi la frontière. La Grande-Bretagne envoie des troupes sur notre territoire. La Suisse mobilise. L'Italie ne bouge pas. La Boulimie et la Mérovingie s'agitent. Vous verrez que toutes ces histoires finiront, à la longue, par nous amener des complications internationales.''

     Début juin 1940, l'occupation de Paris par les forces allemandes semblant imminente, Henri Jeanson, dont les saillies étaient étudiées au lycée, conseilla à Pierre Dac de quitter son appartement de l'avenue Junot. En effet, juif et ayant brocardé sans ménagement Hitler et l'armée allemande, il figurait en tête de la liste d'épuration. Le journaliste décida de rejoindre le Général de Gaulle à Londres. La route lui parut interminable. En franchissant les Pyrénées, il fut arrêté et incarcéré à Barcelone en novembre 1941. Ramené à Perpignan, il renouvela la tentative dans un train pour le Portugal. Arrêté une nouvelle fois, il se retrouva en prison à Cáceres. Echangé contre des sacs de blé  et des fûts d'essence, il put rejoindre Lisbonne, puis Alger et enfin Londres où il arriva le 12 octobre 1943. 

     A Radio Londres, il participa à l'émission ''Les Français parlent aux Français'', parodiant des chansons françaises. ''Les Gars de la marine'' devinrent ''Les Gars de la vermine''. On lui doit ''Ça fait d'excellents Français'' pour brocarder les collaborationnistes, et surtout ''Radio Paris ment, Radio Paris ment, Radio Paris est allemand'' sur l'air de ''la Cucaracha'', qui devint le générique de sa rubrique.

     Après des collaborations, au sens noble du terme, avec Francis Blanche, sketchs célèbres et feuilletons radiophoniques comme ''Signé Furax'', Pierre Dac se déclara candidat à l'élection présidentielle de 1965 avec le MOU (Mouvement Ondulatoire Unifié). Son slogan : ''Les temps sont durs, votez MOU''. Un jour où ''il y eut du mou dans la corde à nœuds'', il passa l'arme à gauche, en 1975, d'un ''manque de savoir vivre'', expression qu'il emprunta à Alphonse Allais. J'espère qu'il la lui a rendue.

    Quelques petites annonces de l'Os à Moelle, pour la route  : ''Echangerais plusieurs mètres de toile contre toiles de maîtres.'' ; ''Monsieur ayant déjà eu des hauts et des bas, demande place garçon d'ascenseur.'' ; ''Souffrant insomnie, échangerais matelas de plume contre sommeil de plomb.'' ; ''Basque toujours disposé à peloter demande marraine de guerre.'' Un conseil pratique : ''Comment débouteiller un bouchon ? Procédez comme pour déboucher une bouteille, mais en sens inverse.''  

     J'aurais peut-être mieux fait de me référer à la pensée du maître : ''Parler pour ne rien dire et ne rien dire pour parler sont les deux principes majeurs et rigoureux de tous ceux qui feraient mieux de la fermer avant de l'ouvrir.''

                                                    Je vous laisse, j'ai trouvé une place de garçon d'ascenseur.