Le portrait de Madeleine

Cette femme prénommée Madeleine a retrouvé son identité en 2018. Elle était la domestique d’un couple de colons guadeloupéens rentrés en métropole pour un bref séjour à la toute fin du 18e siècle. L’artiste, belle-sœur des premiers par son mari, a entrepris le portrait de leur servante noire, sans que l’on sache si c’est de sa propre initiative ou à la demande du couple. Elle n’a laissé aucune explication à ce sujet.

Marie-Guillemine Benoist fait alors partie d’une petite élite de jeunes femmes peintres qui réussissent à suivre l’enseignement de maîtres, sans appartenir par ailleurs à une famille d’artistes. Elève d’Elisabeth Vigée-Lebrun, elle fréquente aussi, à partir de 1786, l’atelier de Jacques-Louis David.

Choisir de représenter une personne de couleur n'a (presque) pas d'antécédent, et semble plus incongru encore de la part d’une femme de qui on attend des sujets charmants, des scènes de famille, ou intimistes. En représentant ce portrait de femme dans un style néoclassique, elle démonte d’une part des capacités égales à un artiste homme et fait fi des conventions sur le rôle dévolu aux femmes artistes.

Ce splendide portrait est présenté au Salon de 1800 et surprend le public. Cette jeune femme se présente dans une situation qui n’est pas conforme à sa condition de domestique, voire d’esclave jusqu’en 1794, année de son abolition. Le regard est directement et délicatement tourné vers le spectateur ; elle est assise de trois-quarts dans un fauteuil recouvert d’un riche tissu, elle occupe la place traditionnelle d’une femme de la bonne société. Mais aucun peintre n’aurait représenté au 18e siècle une aristocrate ou une bourgeoise la poitrine découverte.

Par ailleurs le fichu noué sur la tête, l’anneau d’or à son oreille, signes de servitude, les seins dénudés indiquent clairement son état. L’œuvre fait ressortir avec exactitude la pigmentation noire de la peau, rehaussée par le fond uni et clair et l’éclatant tissu blanc, la texture des cheveux et la forme caractéristique des yeux, du nez et des lèvres.

La pose de cette femme reprend celle de plusieurs portraits de femme de la haute société peints par David. Elle s’apparente par exemple à celle de Madame Récamier dans le célèbre portrait que l’artiste compose la même année, en 1800.

Le style du maître transparaît aussi dans le fond dépouillé, dans l’usage minimal des accessoires, dans le modelé sculptural des formes ou encore dans l’éclairage direct et les couleurs tranchées.

Ainsi Marie-Guillemine Benoist trouve sa référence dans une tradition picturale déjà bien établie de portraits de femmes élégantes, cadrées sous les hanches, les bras et les mains nonchalamment posés sur les cuisses, et d’une grande sobriété. Ce tableau a peut-être aussi une influence plus lointaine, dans le Portrait d’une jeune femme (La Fornarina) par Raphaël (huile sur bois – 1518-1519 – peinture à l’huile sur bois – Rome, Palais Barberini). On retrouvera les seins dénudés et le même vêtement chez Delacroix trente ans plus tard (La Liberté guidant le peuple).

Ainsi, avec ce tableau, l’artiste abolit les distinctions traditionnelles tant sociétales que picturales, elle donne une identité à cette femme, lui conférant la noblesse d’une allégorie, peut-être celle de l’esclavage désormais condamné.

Isabelle Letiembre