Oeil pour oeil

Elle comprend tout de suite, au désordre qui règne dans la pièce, ce qui s’est passé.

Le petit coffret bien caché qui renfermait ses pauvres secrets a été fracassé sur le sol et son contenu s’est éparpillé jusque sous le lit où ont roulé quelques fausses perles, qui, l’espace d’un instant, font revivre le souvenir fugace de lointains soirs de bal. Mais il lui semble que cela  émerge d’un autre temps, d’une autre vie, comme d’un film qui retracerait l’existence d’une femme qui ne la concernerait en rien.

Le mince carnet d’adresses qu’elle sort parfois pour en feuilleter mélancoliquement les pages et se remémorer ses années heureuses a été irrémédiablement déchiqueté par une main vengeresse.

Elle s’avance pour ramasser sur la descente de lit la photo ancienne où le visage aimé a été rayé, biffé, comme détruit d’un trait rageur qui en a rendu les traits méconnaissables.

Les quelques lettres qu’elle avait précieusement gardées pour y puiser la force de tenir jour après jour ont toutes été déchirées et les morceaux sont répandus en désordre sur le lit où l’homme dort, ronflant à en faire vibrer la cloison.

Sur l’oreiller, elle reconnaît, réduit en lambeaux à coups de rasoir, le foulard de soie qui fut le dernier cadeau de son père aujourd’hui disparu.

Elle s’allonge à côté du dormeur débraillé, puis elle  tend la main vers l’instrument que le sommeil lui a fait lâcher.

Elle ne tremble pas, elle s’étonne d’être si résolue, de ne pas sentir monter en elle la terreur que la simple vue de l’homme lui inspire d’habitude.

Elle pense à la photo, à tous ceux qu’elle ne reverra plus. Elle se dit que la dose de somnifère qu’elle a versée dans la bouteille maintenant vide doit être suffisante pour qu’il ne puisse pas émerger du sommeil.

Et quand bien même. La prison, les juges, la police, les interrogatoires...Tout cela n’existe pas vraiment.

Seul existe le bestial huis clos qui se joue avec le bourreau dans ce deux pièces délabré, promu à une destruction imminente.

La peau de son visage, brûlée par l’acide, rosit un peu, tandis que penchée sur l’homme, elle étudie la manière dont elle va opérer. Elle se dit qu’elle va commencer par les yeux.