Pierre Loti, retour à la lumière

Pierre LOTI est mort en 1923 et à l’occasion du centenaire de sa disparition, le monde littéraire lui a rendu un hommage qui rappelait combien il fut important, admiré de ses contemporains et adoré par le public. Parce qu’il semblait une peu tombé dans l’oubli, Jeanine et Macau ont voulu à travers deux de ses livres « le Mariage de Loti » et « Mon frère Yves », mettre en lumière son style éblouissant par lequel il a su donner vie aux paysages, aux femmes et à la mer qu’il a tant aimés.

Pierre LOTI nait Louis Marie Julien VIAUD le 14 janvier 1850 à Rochefort. Sa sœur Marie, de 19 ans son ainée, et Gustave de 14 ans,  vont, malgré la différence d’âge, tisser des liens très forts et auront chacun, pour des raisons différentes, une grande influence sur sa vie et sa carrière : Marie, dessinatrice et peintre de talent va l’initier au dessin et à la tenue d’un journal intime et Gustave, sera le modèle, le frère idéalisé chirurgien de marine, grand voyageur et narrateur dont les récits vont faire rêver le jeune Julien et lui donner l’envie de La grande aventure de sa vie commence lorsqu’il embarque pour son premier voyage en Méditerranée fin 1869 : Alger puis où  il « saisit ses crayons pour jeter sur son bloc de quoi se souvenir ».

A partir de 1871 son journal intime va nourrir la plupart de ses œuvres. Fin 1871, il embarque pour Tahiti avec pour ordre de mission : « Rendez-vous à l’île de Pâques, rectifiez-en l’hydrographie incertaine, et rapportez une des statues préhistoriques qu’on dit y trouver ! » Lors de ce séjour, il croque paysages et portraits ornés de tatouages. Il va en publier certains dans « l’Illustration » avec un article « Journal d’un sous-officier de l’Etat major de la Flore, qu’il signe Julien VIAUD. Il rencontre déjà un beau succès auprès des lecteurs avides d’exotisme.

« Le mariage de Loti » relate un épisode de la vie de deux aspirants anglais Plumkett et Harry Grant pour éviter tout conflit avec l’armée car il est soumis au devoir de réserve. Harry s’éprend d’une jeune et belle vahiné, Rarahu, qu’il épouse à la mode polynésienne.

Comme souvent chez Loti, le rêve a précédé le voyage, créant tout un imaginaire avec lequel il va être confronté. Il a rêvé et aimé Tahiti et ses femmes avant même d’y arriver, suivant les voyages de son frère par ses lettres et ses colis. Son voyage s’inscrit donc dans les pas de son frère, lui aussi sera ami de la reine, lui aussi vivra dans une case et aura des liaisons.

Ce n’est pas un roman mais une sorte de journal tenu par Pierre LOTI GRANT, autofiction, où le jeune lieutenant de vaisseaux accoste à Tahiti. D’abord paru en feuilletons dans « la Nouvelle Revue », ce qui explique le succès du livre (par le nombre de lecteurs touchés) et sa construction : trois parties divisées en chapitres, comme des scénettes ou un patchwork non chronologique. Le premier chapitre est celui du « baptême de Loti » nom que vont lui donner les dames de la cour de la reine, alors que son arrivée et sa présentation à la reine arrivent après, on peut y voir une intention de l’auteur qui, après ce baptême va devenir l’écrivain Pierre Loti.

C’est à la fois un récit de voyage exotique (la reine, sa cour, …), une enquête sur la vie de son frère et de son épouse polynésienne, sa vie amoureuse sur l’île, des correspondances avec sa sœur, des réflexions ethnologiques, sociologiques sur la population de Tahiti et politiques quant aux conséquences de la colonisation. Tout cela n’est pas toujours harmonieusement mêlé :  Loti écrira plus tard « La vérité n’est pas respectée, le fond de l’histoire n’est pas vrai, j’ai combiné plusieurs personnages réels pour en faire un seul : Rarahu, et cela me semble une image assez fidèle de la jeune femme maorie ».  L’intrigue suit les nombreux détails de la vie de Loti mais a été embellie.

Si beaucoup de personnages sont fictifs, le décor est vrai ; c’est même plus un personnage à part entière qu’un décor car il est décrit en faisant appel à tous les sens, bruits des cascades, goût des repas, odeurs des fleurs et des plantes, caresse de l’eau description des plages et des montagnes. Et en particulier un ruisseau, celui de Fatoua :

« Oh les heures délicieuses, oh ! les heures d’été douces et tièdes que nous passions là, chaque jour au bord du ruisseau de Fatoua, dans ce coin de bois …Le ruisseau courait doucement sur les pierres polies, entrainant des peuplades de poissons microscopiques et de mouches d’eau_ Le sol était tapissé de fines graminées, de petites plantes délicates d’où sortait une senteur pareille à celle de nos foins d’Europe pendant le beau mois de Juin, senteur exquise , rendue par ce seul mot tahitien : « poumiriraïra » qui signifie : une suave odeur d’herbes… L’ai était tout chargé d’exhalaisons tropicales, où dominait le parfum d’oranges surchauffées dans les branches par le soleil de midi. De petits lézards bleus comme des turquoises, que rassurait notre immobilité, circulaient autour de nous, en compagnie de papillons noirs marqués de grands yeux violets. On n'entendait que de légers bruits d’eau, des chants discrets d’insectes, ou de temps en temps la chute d’une goyave trop mûre, qui s’écrasait sur la terre avec un parfum de framboise.

Nous avions aussi la pêche au corail sur le récif – Rarahu m’accompagnait souvent en pirogue dans ces excursions, où nous fouillions l’eau tiède et bleue, à la recherche de madrépores rares ou de porcelaines. Il y avait toujours dans notre jardin inculte, sous les broussailles d’orangers et de gardénia, des coquilles qui séchaient, des coraux qui blanchissaient au soleil, mêlant leur ramure compliquée aux herbes et aux pervenches roses… C’était cette vie exotique, tranquille et ensoleillée, cette vie tahitienne telle que jadis l’avait menée mon frère Rouéru, telle que je l’avais entrevue et désirée, dans ces étranges rêves de mon enfance qui me ramenaient sans cesse vers ces lointains pays du soleil.

L’eau de la cascade, émiettée, pulvérisée par sa chute, arrivait en pluie torrentielle, en masse échevelée et furieuse. Elle se réunissait ensuite en bouillonnant dans des bassins de roc vif, qu’elle avait mis des siècles à creuser et à polir ; et puis se reformait en ruisseau, et continuait son chemin sous la verdure. Une fine poussière d’eau était répandue comme un voile sur toute cette nature ; tout en haut apparaissaient le ciel, comme entrevu du fond d’un puits, et la tête des grands mornes à moitié perdus dans les nuages sombres. »

On imagine l’accueil fait à ces évocations poétiques et visuelles, à la manière du peintre qu’il était !

Il aime la compagnie des femmes des iles marquises ou de Polynésie.

« Rarahu avait les yeux d’un noir roux, plein d’une douceur exotique, comme celle des jeunes chats qd on les caresse ; ses cils étaient si longs qu’on les eût pris pour des plumes peintes. Son nez était court et fin, comme celui de certaines figures arabes ; sa bouche, un peu plus épaisse, un peu plus fendue que le type classique, avait des coins profonds, d’un contour délicieux…… »

Il crée là un personnage idéal mélange de toutes les liaisons entretenues durant ces deux mois.

II va être sensible aussi à leurs parures, leur caractère, leur légèreté, leur indolence.

Ces descriptions sont parfois aussi teintées de mélancolie devant la crainte de les voir disparaître : les oiseaux ne survivent pas, les enfants de la reine meurent, les mythes locaux sont ceux qui évoquent les créatures de la nuit et des songes, mais surtout la colonisation et les formes de mondialisation détruisent peu à peu la civilisation locale, l’évangélisation s’impose , les femmes renoncent à leur tenue traditionnelle pour se vêtir à l’européenne, la prostitution apparait comme nécessaire pour acquérir le superflu très nécessaire.

 

« Mon frère Yves » est une forme de journal dans lequel le narrateur, officier de marine comme Pierre Loti dont il a d’ailleurs pris le prénom, parle des paysages de la Bretagne, du pays du Leon en Finistère, d’où est natif le matelot Yves auquel il porte une grande affection, qu’il va appeler son frère et qui lui fait découvrir et aimer les paysages et les traditions celtes de ces années 1880. Les couleurs, les jeux de lumière, les nuances de gris vont le charmer ; les coiffes et les lits clos à l’intérieur des chaumières, les processions pour les saints locaux, les vieux calvaires qui étendent leur bras gris, la dentelle de granit du clocher à jours de la chapelle du Kreisker à Saint Pol de Léon polie et rongée par les vents et les pluies de 400 hivers, les sentiers pleins de primevères, les tons dorés du lichen jaune, les étés pâles aux longues soirées douces : tout cela est rendu par des mots, des phrases qui sont des touches de peinture.

Mais « Mon frère Yves » est surtout consacré à ce que LOTI aime par-dessus tout : la mer, les navires et leurs équipages, les conditions de vie des marins à bord des grands voiliers, les punitions sévères, les bordées à terre et les ivresses des escales, Brest, Recouvrance et la rue de Siam. Les tempêtes terribles, les souffrances des gabiers, l’immersion d’un marin mort sur le bateau ; mais aussi la douceur des couleurs d’un soleil couchant, les rêves des matelots, les noms des villes et des pays énumérés qui font comme un poème en prose : Valparaiso, le Détroit de Malacca, la mer Rouge. Bruno Vercier admirateur et spécialiste de LOTI qui préface le livre dit : « Il écrit le poème de la mer, une tempête dans le froid, l’humidité, le tumulte des vagues et du vent ; il peint le soleil, la brume, des flous gigantesques, des horions infinis. Ce livre est l’épopée moderne de ce monde énorme et mystérieux qu’est la mer.

Les figures féminines dans « Mon frère Yves » sont des femmes de marins ; leurs fiancées, leurs épouses, leurs mères, leurs veuves ; elles sont marquées par le deuil, la difficulté de vivre et cette constante tristesse d’aller chercher leurs hommes dans les cafés, les cabarets, les bouges ; par la honte qui va avec et la pauvreté extrême puisqu’ils y laissent leurs soldes

Mais elles sont émouvantes : le narrateur écrira « c’est pourtant vrai que toutes les mères, quelle que soit la distance qui les séparent ont à certaines heures des expressions pareilles. Maintenant il me semble que la mère d’Yves avait quelque chose de la mienne »

 

 

Son journal nourrit la plupart de ses livres, il fonctionne par cycle, breton, basque japonais ou turc. Ces ouvrages lui valurent une immense popularité et d’être élu à l’Académie française à 41 ans contre E Zola, soutenu par les frères Goncourt et Daudet mais en parallèle il poursuit une carrière d’officier, respecté par ses hommes, reconnu par sa hiérarchie, et à chaque permission transforme la maison natale en musée de souvenirs de voyage.  Un court film nous fera vivre à travers le salon turc, la chambre arabe, la pagode japonaise, la mosquée et les millions d’objets rapportés des pays visités, sa passion des voyages, son amour de l’exotisme, de l’autre, de tous ceux qu’il aurait voulu être et dont témoignent ses multiples déguisements et son goût pour les fêtes.

Les mots, une fois de plus, nous ont fait voyager pendant cette animation ouverte sur le monde.

Merci Pierre Loti !