Plaisir d'écrire

L’atelier « PLAISIR D’ÉCRIRE » est proposé depuis 2012 aux adhérents de l’UTA. Les participants écrivent des textes de 750 mots environ sur un thème proposé (ou sur un thème de leur choix) qui sont lus à voix haute par les auteurs et commentés par le groupe au cours des réunions mensuelles. Chacun fait part de ses impressions, de ses remarques avec bienveillance. Les ricochets culturels sur les textes ne manquent pas : idées de livres, d’expositions, de films, etc.

Une sélection des textes choisis par les participants à l’atelier de l’année 2021-2022 vous est proposée ci-dessous.

Bonne lecture


De Isabelle
J’ai découvert les fantosmies (hallucinations olfactives) et les distorsions d’odeur ou parosmies ces dernières semaines. Alors j’ai essayé de retrouver mes cinq sens le premier jour de vacances à Lancieux dans mon enfance. C’est un exercice de rééducation.

Il ne reste plus qu’une heure avant d’arriver à destination, imaginer le jardin pour moi évoque le buis, l’odeur du bois et réveille mes glandes salivaires comme si j’allais déguster une rondelle de citron ou mâcher une feuille de coca ; il s’agit plutôt de la tranche de citron d’ailleurs car la feuille de coca anesthésie la bouche ; et là tous mes sens s’éveillent.

L’allée de buis menant à la maison est un avant-goût des vacances, une entrée en matière, une entrée avant de savourer le plat principal, ce séjour.
Le buis possède donc un goût, peut-il m’enivrer ? Ma bouche est tapissée par cette odeur comme un bon vin laisse une fine pellicule, une sensation en bouche.

Le buis rappelle l’été’, le cyprès, l’Italie de prime abord, mais nous sommes bien en Bretagne.
Nous arrivons, je me précipite pour ouvrir le portail, humer ces arbustes tels qu’ils étaient dans mon souvenir. Mon nez frémit, je bois cette odeur ; ce grand cru possède une longueur et une persistance remarquables avec des notes balsamiques. J’avance dans l’allée, la rétro olfaction est infinie. Parker dans son guide, attribuerait vingt sur vingt à ce verre de Bordeaux, non à ce vert de buis.

La fraicheur du sillage de cette haie me surprend toujours, même si je la connais par cœur ; peut-être a-t-elle une pointe d’humidité cette année, les vignerons trouvent toujours des variations d’une cuvée à l’autre, d’une année à l’autre. Le cru du buis 2017 développe des notes d’humus et d’humidité avec un léger fonds de champignons.

J’avance dans l’allée et les effluves de la haie me suivent tel un fidèle animal de compagnie, content de retrouver sa maîtresse après une longue absence. Mais la meute arrive, les odeurs de terre, de résine et de pin des cupressus essayent de doubler le buis. Qui sortira vainqueur de cette bataille sans enjeu ?


De Thierry
LAURETTE

C’était le temps que les moins de quarante ans ne peuvent pas connaitre ; le temps d’avant les TGV, le temps d’avant les smartphones, le temps où nous savions le prendre et l’apprécier.
Tous les ans, pour aller en Limousin au début des vacances, je prenais parfois le « Capitole ». Il était alors la fierté du réseau ferré avec ses 200km/heure maximum.

J’aimais prendre ce train qui mettait presque quatre heures pour aller jusqu’à Limoges, car au-delà de sa vitesse de pointe entre Paris et Orléans, les nombreux reliefs et méandres sur la ligne nous apportaient, un doux et lent bercement rythmé par le bruit des boggies sur les interails
J’aimais aussi ce train pour ses compartiments fermés de huit passagers, entassant leurs valises dans les filets au-dessus de leurs têtes. Ils étaient le lieu de rencontres insolites, de vraies découvertes et de rêves éphémères par les grandes surfaces vitrées dont l’ouverture amenait toujours débat entre les passagers.
Parmi tous ces voyages, toutes ces rencontres, une ne s’est jamais effacée car elle m’a apporté une philosophie de la vie qui m’a souvent guidé en imprégnant la douceur de nos rêves dans ma vie.
Ce devait être aux vacances de Pâques ; nous n’étions que deux dans le compartiment. Laurette (elle me donna son prénom) s’était allongée sur la banquette en face de moi, son sac comme oreiller. Elle s’était endormie. Je la regardais doucement, son visage serein s’éclairant parfois d’un sourire esquissé. Le temps semblait suspendu, bercé calmement par les battements des boggies.
Lorsque brutalement, après un choc métallique sur la paroi vitrée de la porte, celle-ci s’ouvrit soudain et le visage rougeaud du contrôleur
apparut : « Billet siouplait !! »
Laurette sursauta en se réveillant. Elle resta un moment éberlué, comme perdue dans un autre monde et se retourna avec un regard d’une douceur immense vers le contrôleur :
« Un moment, monsieur, je finis mon voyage. Il a commencé hier ; j’étais dans ma chambre, lorsque j’entendis dehors comme des bruits de sabots devant la maison. Regardant par la fenêtre, il y avait une calèche qui s’était arrêtée.

Personne autour, pas de cocher, seuls ces deux comtois qui semblaient m’attendre. Surprise et intriguée, je suis descendue pour l’observer. La rue s’était vidée, j’étais seule devant la porte finement œuvrée de la calèche, Lorsque j’aperçus le billet qui y était coincé :« Invitation au voyage » y était écrit.

Parce que les rêves sont des voyages sans limites, j’étais déjà dans la voiture qui commença alors à rouler doucement. Les rideaux en velours de la calèche étant fermés, je n’avais pas prêté attention à l’intérieur de celle-ci. Mais, sans doute par un caillou sur la route faisant pencher la calèche, ce rideau fit entrer soudain un rayon de lumière. C’est alors que je l’aperçus...

Une petite fille était assise en face de moi. Elle me regardait avec un doux sourire avec ses grands yeux bleus et ses couettes rattachées au-dessus de sa tête. Aussitôt je la reconnus. Cette petite fille, c’était moi, moi à six ans dans la robe bleue que m’avais offerte une tante dont la réputation de médium circulait dans la famille.
La petite fille commença à me parler. Je reconnus ma voix d’enfant, je m’écoutais à la fois fascinée et émerveillée :
« Laurette, qu’as-tu fait de tes rêves d’enfants, qu’as-tu fais de ces voyages insensés, de ces utopies oniriques qui nous transportaient dans d’autres mondes, dans d’autres univers dans lesquels nous cheminions passionnées de découvertes et de rencontres. Le temps s’écoulait alors langoureusement comme l’eau d’une rivière que nous tentons de retenir entre nos doigts ; Le monde est sans limites pour ceux qui savent rêver.

Retiens surtout cela : Apprends à sortir du cadre dans lequel trop de bons conseils t’ont enfermés »
La calèche s’arrêta alors, et je vis la petite fille en descendre. Je ne pus la retenir, sa silhouette s’était déjà évanouie dans la nuit. ; J’étais silencieuse, plus aucun bruit autour de moi...jusqu’à ce bruit sur la vitre... Mais c’était celle du compartiment... »

Laurette s’arrêtât de parler au contrôleur et me regarda. Elle avait dans son regard et son sourire une quiétude et une plénitude immense que je n’oublierai jamais. Laurette semblait déjà être parti dans ce voyage d’enfant qu’elle avait trop longtemps enfoui. Mais la magie du moment fut qu’elle m’y invita et m’y emmena, transporté par son regard.

De ce voyage d’enfant, je garderai le secret, comme les enfants gardent leurs trésors sous leurs oreillers. Il fut magique, et la magie ne se raconte pas...
Ce qu’a fait le contrôleur ? Où nous sommes nous arrêtés ? Que sont devenus les tickets ? Tout cela est enfoui dans les choses inutiles et oubliées.

Les paroles de Laurette enfant, elles, sont gravées à jamais dans mon être et me guideront pour toujours dans cette recherche de savoir regarder la vie avec ses yeux d’enfant et savoir parfois se dire : « Attention Thierry, ne fais pas trop ton monsieur trop sérieux » !


De Marie Annick
Mars 2015...
« Elle s’était promis de ne jamais revenir... »
Le soleil a du mal à se lever depuis quelques jours. Les heures se ressemblent. Matins blêmes, midis pâles, soirées grisâtres.

Le ciel est chagrin comme la maison de Madeline qui fut une grande et belle demeure bourgeoise autrefois qui, aujourd’hui, est triste et délabrée. Comme Madeline dont l’humeur est au diapason de cette fadeur. Est-ce le temps qui est accordé à sa morosité ? Elle n’a pas toujours été ainsi notre tante Madeline : elle était pleine de vie. Mais cet état de lassitude semble durer depuis si longtemps qu’il lui est devenu une seconde nature.

La vie est parfois mesquine comme Madeline.

Aujourd’hui je suis de passage dans sa petite ville terne comme elle. Je me décide à lui rendre visite. J’espère lui faire plaisir à l’heure du goûter en venant partager avec elle un gâteau aux pommes, une pâtisserie qu’elle aime bien.

Je pousse la grille de l’entrée qui grince et qui, à elle seule, suffit à signaler mon arrivée. Je sonne la cloche toute rouillée. Personne...et pourtant je devine une lumière derrière les volets à demi clos.
Je relance le tintement du carillon. Au bout de quelques minutes j’aperçois le visage de ma tante qui jette un œil derrière le rideau. A contre cœur elle vient m’ouvrir, ou plutôt entrouvre la porte, hésite à me laisser entrer.

- Bonjour Madeline. Silence...

- Je viens prendre un petit goûter avec toi. Je t’ai apporté un gâteau aux pommes.
- Tu aurais dû me prévenir Marie. Allez entrer puisque tu es là. Ne regarde pas le désordre.

Madeline comme la dernière fois, a bien triste mine. Je devine qu’elle a honte de son aspect négligé. Elle n’est pas coiffée, est encore en peignoir, pieds nus dans ses chaussons usés. Elle se dirige vers la cuisine et me fait signe de la suivre. Elle m’invite à m’asseoir sur la seule chaise disponible près d’une table encombrée où je ne peux poser mon gâteau. Celle-ci est envahie de vieux journaux, d’un tricot en attente, d’un Tupperware empli de vis, d’épingles, d’élastiques de toutes sortes et d’un vieux seau à champagne en inox cabossé. Je jette un œil sur l’évier rempli de vaisselle en attente. Madeline se décide à me débarrasser de mon plat dont je ne sais pas quoi faire. Elle pousse un peu de vaisselle qui trône sur la table et accroche la queue d’une casserole qui rebondit sur le sol et lui éclabousse les pieds.
5
C’est alors que sonne le carillon de l’entrée. Madeline sursaute, regarde l’horloge au-dessus du réfrigérateur. Le cadran indique 17H. Qui peut bien venir encore à cette heure ? La cloche retentit à nouveau. Le visiteur doit s’impatienter car il insiste maintenant.

Madeline se lève enfin, essuie ses pieds rapidement et va ouvrir. J’entends : - Vous êtes madame Lebon ?
- Oui, pourquoi ?
- J’ai un bouquet de fleurs pour vous.

- C’est une erreur.
-Vous êtes bien madame Lebon ?
- Oui, mais ce n’est sûrement pas pour moi.
- Ben si ! C’est bien votre nom et votre adresse. Il y a sûrement un mot dans votre bouquet.
Madeline est déconcertée. Et le livreur ne s’en va pas : il espère un pourboire. Elle va poser le bouquet sur la gazinière, s’empresse d’aller chercher son portefeuille et file donner une pièce au livreur. J’entends la porte se refermer et le silence s’installer. Madeline ne comprend pas. Elle s’empare du bouquet de roses pourpres et blanches. Une petite carte est épinglée au milieu des rubans de bolduc rouges assortis à la couleur des roses. Elle s’assied dans la salle pour découvrir qui peut bien être l’expéditeur. Elle lit ce petit bout de carton.
Je lis la stupéfaction sur le visage de ma tante et un léger sourire. Le trouble s’est emparé d’elle. Elle n’est plus la même, comme si quelque chose s’était réveillé, en elle.
- Que se passe-t-il Madeline ?
Silence.
Puis avec une confiance déconcertante et un sourire complice que je ne lui ai pas vu depuis longtemps, elle me tend la petite carte étrange : « te souviens- tu de moi ? au moins de mon écriture chère Madeline ? ». Qui peut bien être ce mystérieux galant ?
Je lui ai connu bien des amants à Madeline, si séduisante dans le temps. Mais qui donc est cette personne qui se manifeste après une si longue absence ? Cette fois Madeline sait qu’il ne s’agit pas d’une erreur. Cette écriture, elle la connaît bien, la reconnaîtrait entre mille.
Et ce bouquet, çà ne peut être qu’Eloi avec qui elle a vécu plus d’une décennie et qui a mis fin à leur relation du jour au lendemain. Un vrai goujat. Les autres c’étaient des histoires passagères.

Madeline est revenue à la cuisine. Elle a totalement oublié ma présence et exprime tout haut ses pensées :
- Pourquoi, Eloi ? Que me veux-tu ?
Je la vois si émue que je n’ose lui parler. J’imagine les sentiments contradictoires qui l’animent. Je me contente de saisir le seau à champagne qui traîne sur la table. Je débarrasse la vaisselle dans l’évier pour accéder au robinet et le remplir d’eau pour y déposer le magnifique bouquet inattendu. Madeline n’a pas bougé. Seul son visage est animé, ses yeux ont retrouvé leur éclat. Elle regarde le bouquet avec perplexité. Elle a oublié le gâteau que je lui ai amené. Tout d’un coup elle sort de sa sidération et me dit : - Tu te souviens d’Eloi, Marie ?

- Tu ne l’as pas oublié ton Eloi !
- Non Marie. Je me souviens de sa maison d’Etretat. J’irai bien faire un tour là- bas.
Madeline est dans tous ses états. Je la retrouve là, pétillante, surprenante comme je l’ai connue autrefois ; elle me dit tout d’un coup :
- Marie, va donc voir à la cave s‘il ne reste pas une bouteille de Coteau du Layon. Il accompagnera bien ton gâteau.

Et c’est ainsi que d’une façon inattendue en ce mois de mars j’ai partagé ce goûter mémorable avec Madeline à qui je rendais visite.
Ce soir-là était moins gris, et le lendemain s’annonçait moins chagrin.

Mai 2015 ...

Le soleil est radieux aujourd’hui. Le printemps explose en ce mois de mai, les jardins sont fleuris. J’ai envie d’aller voir Madeline, prendre de ses nouvelles. Elle m’accueille aujourd’hui avec une grande joie. Elle s’est légèrement maquillée, porte une jolie robe bleue assortie à la couleur de ses yeux.

Je ne reconnais pas la maison : une bouffée de soleil du matin inonde la salle et une délicieuse odeur de café embaume les lieux.
Madeline s’empresse de me dire :
-Entre Marie, assieds-toi. J’ai juste le temps de prendre un café avec toi. J’attends Eloi qui m’emmène à Etretat.

Elle s’était promis de ne jamais y revenir, et pourtant...

 

A suivre ...